Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Le texte était littéralement le suivant : vieille dame recherche jeune fille pour lui tenir compagnie. Intelligence, maîtrise des langues étrangères, culture générale, bonnes manières, charme, discrétion et sourire, telles étaient les qualités auxquelles la vieille dame apparemment tenait le plus.
Cette fin d'après-midi là, alors qu'il est tranquillement chez lui, Teodor, le narrateur qui est écrivain, voit arriver sa cousine germaine Ioura qui est étudiante et qu'il n'avait pas revu depuis plusieurs mois. Elle est si belle avec sa chevelure rousse, si attirante, et si lumineuse qu'il ne peut rien lui refuser comme cela a toujours été le cas entre eux depuis leur plus jeune âge. Il n'a toujours représenté pour elle qu'une sorte de "chevalier servant" mais aime sa présence même si ce soir-là, il la trouve plutôt culottée de débarquer ainsi chez lui sans prévenir.
Au départ donc sa visite le dérange car il allait se mettre à écrire, mais elle veut lui raconter dans le détail sa rencontre avec une personne âgée incroyable chez qui elle a travaillé pendant plusieurs mois, afin de gagner l'argent nécessaire à son départ en Angleterre et de réaliser ainsi son rêve.
Mais, Adriana, la vieille dame vient de mourir.
Née dans un milieu social aisée, elle a vécu toute sa jeunesse avant l'arrivée du communisme dans son pays, et a été habituée à se moquer de l'argent, ses parents cédant au moindre de ses caprices. Elle s'ennuyait tellement dans cette famille richissime qu'elle n'a trouvé comme parade à l'ennui et à son mal-être de plus en plus vif, que de vivre dans la débauche, de se moquer de ses proches et des personnes rencontrées qu'elle méprisait au plus au point, les mettant cruellement sous sa coupe pour mieux les abandonner ensuite, sans aucun remords. Maintenant qu'elle a plus de 90 ans, qu'elle est devenue vieille et qu'elle voit son corps la trahir tous les jours davantage, elle veut se racheter, en racontant sa vie, non seulement l'attachement maladif de son frère qui la suivait partout pour la protéger d'elle-même, mais le mal qu'elle a fait autour d'elle et comment elle s'est amusée inlassablement avec les sentiments des autres.
Ioura, au départ réticente à l'écouter, est peu à peu tombée sous son charme. Elle a compris que la vieille dame avait besoin de raconter, pour pouvoir se regarder en face avec lucidité et sans complaisance, avant de mourir et a fini par lui prêter une oreille attentive. Elles sont même devenues complices et toutes deux, s'appuyant l'une sur l'autre avec affection, ont réussi l'inattendu, se sentir plus légères et heureuses dans leur vie.
Les voix se mêlent, Teodor lâche prise, lui qui ne voulait pas au départ écouter sa cousine. En buvant café sur café, Ioura passera ainsi toute une nuit à lui raconter la vie d'Adriana et surtout son terrible secret, ce drame qui la hante et l'a fait changer du tout au tout, du jour au lendemain...
Et en racontant comme dans un souffle, presque en apnée, l'histoire d'Adriana, Ioura se raconte aussi, et révèle peu à peu avec délicatesse à Teodor comment elle aussi a trouvé finalement le bonheur.
Mais Teodor, acceptera-t-il d'écrire leur histoire ?
Lorsqu'Adriana regardait quelqu'un dans les yeux, il ressentait aussitôt une sorte d'inquiétude et d'émoi, s'éloignait et partait sans savoir pourquoi, ses yeux chassaient les gens s'ils les fixaient longtemps, bien qu'ils fussent d'une beauté inhabituelle, féline, d'où cette inquiétude inexplicable, le désir d'ouvrir les fenêtres, de fuir, de ne regarder que le ciel...
C'est un roman vraiment original par sa construction. Il m'a au départ totalement déroutée, car il ne comporte aucun chapitre, ce qui donne un rythme bizarre à sa lecture. J'ai même eu l'impression de l'avoir lu d'une traite, sans reprendre mon souffle car je ne savais pas toujours à quel moment faire une pause. Il a fallu aussi que je vérifie qu'il y avait bien une ponctuation car j'étais incapable de le dire.
Les différents personnages s'expriment "en cascade" : le récit d'Adriana est rapporté par Ioura qui le raconte en une nuit à Teodor qui nous le raconte à son tour. Le récit passe donc à travers les différents personnages avant de nous atteindre, il traverse leur propre sensibilité, s'enrichit de leur ressenti et de leur imaginaire comme le faisaient les contes dans la tradition orale.
Malgré le sujet qui tourne autour de la vieillesse, de la déchéance physique et de la solitude mais aussi de la peur de ne pas laisser de trace derrière soi, ou d'en laisser une erronée, le roman n'est pas triste car l'autrice nous fait entrer dans l'intimité des personnages par petites touches pudiques, révélant au passage leurs personnalités et les traumatismes trop longtemps enfouis mais qui ne demandent qu'à être révélés au grand jour. Il nous parle donc aussi de la vie, et des choix que chacun doit faire.
Adriana est une personne complexe, cruelle, odieuse, mal dans sa peau, mais fascinante malgré ses défauts et le fait qu'on la trouve plutôt antipathique une grande partie du roman.
Ioura à l'inverse nous apparait comme une sorte de "fée" arrivée-là par hasard dans la vie de la vieille dame, distribuant douceur, amour et bienveillance autour d'elle sans même s'en rendre compte. On ne peut que l'aimer.
J'ai été subjuguée par le style de l'autrice que je ne connaissais pas. Le ton sonne juste, le rythme est haletant. La fin est tout simplement magnifique mais je ne vous en dirai rien de plus...tout comme je ne dirai rien des hommes qui traversent le roman sous peine d'en dévoiler trop sur l'histoire.
Une note en fin de roman explique que l'autrice a repris un texte inachevé de son père, écrivain lui aussi et victime du stalinisme qu'elle a modifié en conservant certains des personnages.
En fait ce n'est pas celui-ci que je voulais lire mais "Mères" de la même autrice qui n'était pas disponible en librairie et que je n'avais pas le temps de commander (ou d'emprunter en médiathèque) mais je n'ai pas été déçue et j'ai finalement aimé cette lecture. Une belle découverte donc...
J'espère pouvoir continuer à lire d'autres œuvres de Théodora Dimova (toutes traduites en français par Marie Vrinat). La lecture de ce roman me permet de participer au challenge de Sacha "Une rentrée à l'Est" sur le thème de la Bulgarie.
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C'est alors que je la vis...
Cela arrive sans doute à tout le monde, pas seulement à moi, mais la plupart des gens ne le remarquent pas. La plupart des gens ne croient pas en eux-mêmes, Ioura, c'est ça qui est sidérant, dit Adriana, rapporta Ioura,..La plupart des gens passent à travers ce qui leur arrive, comme des aveugles, tant ils ne comprennent ni ne voient rien...la plupart des gens ont même peur de voir, de comprendre, sentir, accueillir en eux ce qui leur arrive, Ioura, dit Adriana, rapporta Ioura. Oui, ils ont peur. La peur est au fondement de tous nos maux, de tout notre malheur.