Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Marie le sait, elle n'a pas beaucoup d'instruction. Elle est bien plus douée pour conduire, s'ennuyer, lambiner, jouer à des jeux hypnotiques sur des écrans sur-éclairés, ou slalomer sans se plaindre dans la dureté de la vie. Déjà pas mal. Ça ne fait pas une fortune mais ça fait une femme, celle qu'elle est, et dont elle ne peut divorcer. A prendre et à laisser.
Voici un roman dont j'ai tellement entendu parler que j'ai eu l'impression de l'avoir déjà lu lorsque j'ai commencé ma lecture...Heureusement très vite cette impression s'est dissipée et j'ai pu poursuivre agréablement ma découverte.
Marie jeune femme fragile et forte à la fois, travaille comme serveuse bien qu'elle ait un bac pro de chaudronnerie. Il faut dire aussi qu'elle ne peut s'éloigner du Havre où elle habite dans un quartier populaire, car elle doit s'occuper seule de son père hypocondriaque, alors que sa sœur a fui devant les responsabilités familiales.
A 20 ans, sa vie quotidienne n'est pas drôle et elle est obligée de calculer pour mettre de côté quelques rares euros par mois et se faire plaisir.
Alors quand Marie rencontre le charmant Alexandre, beau parleur et cultivé, elle se prend à rêver et tombe amoureuse. Le jeune homme la trouve jolie, rêve de devenir réalisateur, et d'intégrer une école à Paris. Il lui parle de cinéma, mais elle n'y connaît rien. Dès le début de leur relation, il reste profondément déçu qu'elle ne connaisse pas Truffaut, son idole dont il connaît tous les films par cœur.
Jusque-là, Marie ne se posait pas de questions sur son avenir, menait une vie tranquille, ne se sentait pas particulièrement inférieure aux autres, et pourtant, ce qu'elle ressent est d'une rare violence. Elle se sent méprisée, humiliée...et tout bascule dans sa vie.
Persuadé que leur relation est vouée d'avance à l'échec, Alexandre qui en tant que fils d'instituteurs a eu la chance d'accéder à une certaine forme de culture, va fuir, au lieu de lui dire en face qu'il ne désire pas poursuivre.
Elle lui en veut et décide de l'affronter mais pour un geste malheureux, elle se retrouve en comparution immédiate devant le juge Doutremont.
C'est un juge aigri, taciturne, qui ne lui fait pas de cadeau et Marie se retrouve bien incapable de payer l'amende qu'on lui demande...
Alors elle va oser le lui dire, puisqu'il fréquente le café où elle est serveuse. Le juge va décider de lui prêter l'argent, mais aussi de la prendre à son service pour qu'elle lui serve de chauffeur, jusqu'à ce que sa dette soit remboursée.
La vie de Marie prend alors un virage surprenant. Elle qui au début du roman était loin d'avoir toutes les cartes en main pour aborder un changement de vie, va peu à peu, tandis que tous deux s'apprivoisent et apprennent à communiquer, se laisser tenter.
Il fallait donc ouvrir les grilles, entrer dans les maisons, prendre les ponts suspendus, passer les contrôles électroniques des tribunaux ; il fallait donc changer d'itinéraire, suivre les GPS autoritaires, désobéir aussi sans doute. Et puis allumer la radio sans comprendre ce qu'on y raconte...
Il fallait donc tout cela pour apercevoir un peu de l'infinie richesse du monde, qui semble s'éclairer désormais comme un labyrinthe vu du ciel.
C'est un roman qui se lit très vite et facilement. Il permet de passer un bon moment. Le titre, qui est un clin d’œil à Alain Souchon, nous met sur la piste du sujet principal qui est bien le changement de vie.
Vous l'aurez compris le roman aborde aussi le sujet du déterminisme social et des difficultés pour en sortir. Mais rien de caricatural dans les trois personnages ou dans les propos.
L'auteur parle avec beaucoup de délicatesse de ces différences sociales, des voies que l'on choisit d'emprunter et qui peuvent faire déraper ou pas une vie, la transformer, et l'enrichir.
Rien de spectaculaire pour autant dans ce livre, mais des personnages touchants qui savent devenir attachants au fil des pages et qui par petites touches, nous invitent à les suivre et à entrer dans leur quotidien.
Un roman qui fait du bien, tout doux et empli d'humanité que j'ai lu avec beaucoup de plaisir.
"Tu as été mon point d'orgue".
Marie observe l'oeil sur la serviette. Son coeur palpite plus fort que d'habitude. Elle ignorait que tout ce qu'elle a vécu ces dernières semaines pouvait se lover dans un signe. Elle ne se savait pas capable de ralentir la vie des gens. Elle plie la serviette et la met soigneusement dans sa poche...