Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ils viennent ici depuis des années. Quand on a trouvé un endroit comme celui-là on n'a plus besoin de chercher ailleurs. Un lieu qu'on retrouve chaque été, exotique, constant, inchangé.
Après avoir lu "Un monde sans rivage" d'Hélène Gaudy, à l'automne dernier je m'étais promis de découvrir d'autres titres de l'auteur. Finalement la bibliothécaire de mon village a fait venir deux titres de la BDP que j'ai pu emprunter récemment.
"Si rien ne bouge" est le second roman écrit par l'auteur, en 2009.
Le roman se passe sur une île méditerranéenne. C'est là que la famille de Nina passe chaque année les vacances d'été. Cette année un grand changement a lieu car Lise et Samuel, ses parents ont invité Sabine, une jeune adolescente de 17 ans issue d'un milieu défavorisé, à venir avec eux pour partager leurs vacances.
Pourquoi me direz-vous ? Parce que Nina étant fille unique, ses parents s'inquiètent de la voir toujours autant dans leurs jambes, de la voir s'ennuyer, de ne la voir fréquenter depuis son enfance qu'Alban, le jeune ado d'à-côté et ils aimeraient bien la voir un peu grandir.
Bien que Nina soit plus jeune, et Sabine plutôt mutique, les deux jeunes filles que tout oppose, deviennent très vite complices et Nina, qui semblait ne vouloir jamais grandir, devient de plus en plus indépendante, ne raconte plus rien à ses parents de ses journées à la plage, ni des garçons rencontrés, et créent une telle distance entre eux, que la situation devient intenable pour tout le monde, faisant regretter aux parents leur geste empli de générosité.
C'est alors que Samuel n'en pouvant plus décide d'emmener tout le monde en randonnée...
Sabine n'a pas peur des détails mais reste compréhensive. Ce n'est pas grave que t'aies pas encore couché, t'es plus jeune que moi. Dans deux ans, quand t'auras mon âge, t'auras couché sûrement. Nina fait de moins en moins attention à ce que les mots de Sabine ont d'inhabituel, de brutal. Elle s'y coule avec une facilité déconcertante...
Ses parents sont étonnés du nouveau langage de leur fille.
Quelque chose en elle s'est inversé. Quelque chose qui a à voir avec sa peau...
pourquoi n'a t-elle jamais ressenti cela, avant ? De quoi l'a-t-on tenue à l'écart, de quoi exactement, pour que lui soit étrangère cette sorte de joie qui doit bien, de temps en temps envahir les autres ?
L'auteur a voulu parler de l'adolescence pas toujours facile à comprendre, mais aussi des relations entre deux ados qui peuvent devenir toxiques, Sabine poussant Nina à faire des choses pour lesquelles elle n'est pas prête, Nina voulant se détacher de son emprise mais n'y arrivant pas, les parents cherchant à intervenir mais ne réussissant qu'à aggraver la situation.
Le roman démarre en douceur, et même avec une certaine lenteur et se termine comme un thriller. Le suspense va crescendo et la fin inéluctable que je ne vous raconterai pas, se termine par un nouveau mystère.
En fait, tout le livre est empli de mystère : le lecteur ne saura jamais ce que Sabine leur cache, ni qui sont ses parents. Son père est-il réellement mort comme elle l'affirme ? Sa mère est-elle cette jeune femme présentée à Lise comme telle ?
Il ne saura jamais non plus ce qu'il advient à Nina cet après-midi de chaleur où au lieu d'aller à la plage elle accepte d'aller dans la maison de Toni, l'ami de Sabine, l'enfant du pays, ni pourquoi elle se laisse entraîner à violenter Alban qu'elle connaît depuis son enfance.
Le lecteur doit lâcher prise, laisser libre cours à son imagination pour décider de ce qui se passe en réalité. Tout est dans les non-dits, les remarques, les regards, l'ambiance qui devient de plus en plus pesante et bien sûr dans l'écriture qui est remarquable.
L'auteur nous surprend, elle nous emmène en peu de pages (120 pages à peine) là où on ne pensait pas aller...
Elle dresse avec doigté le portrait psychologique de deux adolescentes de deux milieux différents et elle nous renvoie à nos propres peurs de parents, à travers le vécu de Lise et de Samuel, plutôt bobos et parents-poules qui pensaient faire avant tout une bonne action tout en distrayant leur fille, mais sont finalement pris à leur propre piège.
Leur ressenti est complexe car alors qu'ils sont au début, à la fois heureux de voir Nina grandir, ils se sentent ensuite dépossédés de leur fille, telle qu'elle était avant, puisqu'elle a changé d'un coup, et ne rêvent que de la retrouver ce qui est bien entendu, impossible à présent.
Un roman surprenant, qui aborde le sujet de l'adolescence sous un regard nouveau, celui de l'élément extérieur qui change tous les rapports de force entre les êtres d'une même famille, et les fait dont sortir de leur rôle habituel.
Au réveil, la forêt sera là, la même, se dit Nina pour que le sommeil la prenne tout à fait, pour cesser de se retourner dans le lit et s'endormir enfin, la forêt sera calme comme l'île au matin des roseaux. Son île de tous les ans, son île toujours pareille...