Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Les journées étaient toutes semblables, le soleil doré jetait ses derniers feux avant de mourir. J'étais toujours seul. J'avais du mal à me rappeler semblable monotonie. Les jours refusaient de bouger...
Voilà un certain temps que je voulais lire les œuvres complètes de John Fante, un auteur que j'avais découvert dans les années 90 et beaucoup aimé à l'époque. J'ai décidé de profiter de l'été pour commencer mes lectures...
Né en 1909, à Denver, dans le Colorado, il aurait eu 110 ans cette année. Ses parents sont des immigrés italiens originaires des Abruzzes. Le jeune John Fante commence à écrire des nouvelles alors qu'il n'a que 20 ans...
En 1932, H.L.Mencken publie une de ses œuvres dans l'American Mercury, un magazine prestigieux qu'il dirige. Pendant vingt ans tous deux vont régulièrement correspondre alors qu'ils ne se rencontreront jamais.
De 1935 à 1966, John Fante participe à la rédaction de scénarios d'une dizaine de films dans les studios d'Hollywood.
En parallèle, il écrit et publie des romans dans lesquels il se raconte et décrit la vie familiale des immigrés italiens pauvres de seconde génération. Il raconte aussi sa vie à Hollywood et les dégâts provoqués par l'argent facile...
Lire John Fante c'est donc entrer dans l'histoire des Etats-Unis du début du 20ème siècle et en découvrir les excès, vus à travers le regard d'un fils d'immigrés.
Les principaux romans de John Fante ont été réédités chez Christian Bourgois Éditeur, en deux recueils classés de façon chronologique d'écriture (et non pas de parution) ce que je trouve très intéressant pour suivre l'évolution de l'auteur...
Le premier recueil est préfacé par Charles Bukowski et sa postface est de Philippe Garnier et Charles Bukowski. Brice Matthieussent a traduit de l'anglais le recueil et écrit l'introduction générale en 1994...
"La route de Los Angeles" que je vous présente aujourd'hui, commencé en 1933, puis repris et terminé en 1936, n'a jamais trouvé preneur : les éditeurs américains de l'époque le trouvaient trop provoquant et de "mauvais goût". C'est le premier roman écrit par l'auteur, un roman de jeunesse imparfait qui n'a été publié qu'en 1985 en Amérique (1987 en France) soit deux ans après la mort de l'auteur. Le manuscrit a été découvert par sa femme, caché dans un tiroir fermé à clef.
Je ne l'avais jamais lu et je l'ai trouvé particulièrement percutant, mais je vous déconseille de commencer par celui-ci, si vous découvrez l'auteur pour la première fois.
Dans ce roman très cru, semi-autobiographique, John Fante nous présente son alter égo imaginaire, Arturo Bandini que l'on retrouvera dans trois autres de ses œuvres.
C'est un tout jeune homme (18 ans) qui vit à Wilmington en Californie avec sa famille. Il fantasme toute la journée parfois jusqu'au délire, rêve de belles voitures et de belles femmes qu'il surnomme ses "femmes". Elles sont réelles ou entrevues sur papier glacé, mais tellement belles et lui apportent un peu de l'affection dont il a tant besoin pour vivre et rompre sa solitude.
Misogyne, il s'en prend avec beaucoup de violence verbale à sa mère, tellement bigote qu'elle passe son temps à prier devant sa fenêtre, et sa sœur aînée qui passe son temps à l'église. Ce qu'il ne supporte pas c'est qu'elles lui fassent la moindre remarque, que ce soit à propos de son comportement, de sa tenue, ou de ses projets : il est en révolte permanente, toujours prêt à exploser.
En plus de cette violence verbale, il est provocateur, voleur à l'occasion et menteur !
Par exemple, il va même jusqu'à affirmer que sa mère est mourante pour justifier un retard à son travail...
Depuis que le père est mort c'est Arturo qui doit amener de l'argent à la maison. Il multiplie les petits boulots, devenant terrassier, plongeur, débardeur, employé dans une épicerie, et ne les garde jamais bien longtemps parce que au-delà de tous les fantasmes ordinaires de ce jeune garçon passionné et empli de rage, celui pour lequel il se bat quoi qu'il advienne, c'est celui qu'il concrétisera plus tard : devenir écrivain. En attendant ce jour lointain, tout le monde se moque de lui et son oncle Franck est bien obligé de les aider financièrement...
Et Arturo (John dans la vraie vie...), pendant ce temps, fréquente assidûment la médiathèque (il est amoureux de Miss Hopkins, la bibliothécaire), emprunte Nietzsche, s'installe dans un parc pour lire tranquillement, philosophe, se prend pour Zarathoustra...
Cette violence qu'il ressent au quotidien, cette impossibilité qu'il a de s'intégrer vraiment dans le pays d'accueil, il faut qu'elle sorte de lui-même sous peine de l'étouffer. Il explose par moment et délire seul face à toute cette injustice : cela donne dans le roman, des scènes d'une grande violence durant lesquelles Arturo se déchaîne en trucidant des crabes, ou des fourmis...il devient alors le maître du monde, un surhomme qui réussit toutes ses entreprises ! Mais sa violence s'exprime aussi verbalement, comme nous l'avons vu envers sa famille, mais aussi lorsqu'il s'en prend aux immigrés philippins qui travaillent avec lui à la conserverie de poissons et ont osé se moquer de lui...
Un soir, il va se disputer plus violemment que d’habitude avec sa famille...
Chez Jim.
J'ai commandé des œufs au jambon. Pendant que je mangeais, Jim parlait.
"-Tu lis tout le temps, il m'a dit. T'as jamais essayé d'écrire un livre ?"
-Ça fait tilt. Dès cet instant j'ai voulu devenir écrivain.
"J'en écris un en ce moment même", j'ai dit.
Il a voulu savoir quel genre de livre.
"Ma prose n'est pas à vendre, j'ai répondu. J'écris pour la postérité.
- J'ignorais ça, il a fait. T'écris quoi ? Des nouvelles ? Ou de la fiction pure ?
- Les deux. J'suis ambidextre..."
Ce roman de jeunesse qui a choqué les éditeurs des années 30, ne dresse pas un portrait très flatteur de l'Amérique...ce pays d'accueil qui a tant fait rêver les hommes. Il ne montre pas non plus les ritals (et les hommes) sous leur meilleur jour.
Arturo est l'anti-héros par excellence, roublard, vantard, détestable, susceptible et extrêmement raciste. Il n'hésite pas à insulter ses collègues de travail qui sont pourtant dans la même galère que lui. Il ne veut surtout pas s'intégrer et être assimilé à eux, même quand on lui tend la main alors qu'en fait il ne rêve que de devenir un véritable américain.
Au delà de ce personnage dépeint par l'auteur, tourmenté, désespéré et tellement vantard que s'en est souvent amusant (le bel italien par excellence), le lecteur comprend qu'Arturo est plein de rage car il ne supporte plus la pauvreté, le mépris des autres envers sa famille, qu'il ne supporte plus sa condition de rital immigré dans un pays où tout est fait pour les américains, qu'il ne sait pas comment supporter autrement son existence sans avenir, ni espoir d'une vie meilleure et cette solitude qui le submerge et provoque cette émotion à fleur de peau qui déborde chez lui mais nous submerge aussi nous lecteurs...sans prévenir.
Au milieu de cette rage qui étouffe le jeune Arturo, des élans de tendresse font pressentir au lecteur que l'auteur est lui-même un être multiple, hypersensible et plein de rage, un être capable de tous les excès et de toutes les passions...ce que nous découvrirons en poursuivant la lecture de ses œuvres.
Malgré la violence de certains passages, le côté "vilain garçon" d'Arturo et la façon très crue qu'il a de s'en prendre au monde qui l'entoure, l'auteur distille dans ses pages de beaux passages tantôt émouvants, tantôt drôles et cela donne envie de continuer à le lire...
L'idée même de la prière m'a paru absurde et j'allais abandonner quand brusquement j'ai trouvé la solution de mon problème : je ne devais pas adresser ma prière à Dieu ni à personne, mais tout simplement à moi-même.
"Arturo, mon pote. Mon Arturo bien aimé. Tu souffres apparemment beaucoup, et injustement. Mais tu es courageux, Arturo...
Quelle noblesse ! Quelle beauté ! Ah, Arturo, tu es tout bonnement magnifique..."