Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

L'amie prodigieuse / Tome 1. Enfance, adolescence / Elena Ferrante

Gallimard Folio n°6052, 2016

Gallimard Folio n°6052, 2016

Je ne suis pas nostalgique de notre enfance : elle était pleine de violence. Il nous arrivait toutes sortes d’histoires, chez nous et à l’extérieur, jour après jour : mais je ne crois pas avoir jamais pensé que la vie qui nous était échue fût particulièrement mauvaise. C’était la vie, un point c’est tout : et nous grandissions avec l’obligation de la rendre difficile aux autres avant que les autres ne nous la rendent difficile.

 

Il s'agit du premier tome d'une saga constituée de quatre volumes dont le quatrième vient de paraître en Italie.

Voilà qu'alors que j'écris ces lignes, j'ai déjà commencé la lecture du second tome "Le nouveau nom" que, par miracle, je viens d'emprunter à la médiathèque.

Il m'attendait là, tout seul sur l'étagère des nouveautés et personne dans l'après-midi ne l'avait emprunté parce qu'il était trop gros, oui c'est cela...trop gros !

 

Mais quelle saga et quelle découverte que cet auteur dont je n'avais jamais entendu parler avant le printemps de cette année, un auteur qui d'ailleurs préserve son identité... En effet, personne ne sait qui se cache derrière ce pseudonyme d'Elena Ferrante. De quoi attiser encore plus notre curiosité et nous donner envie d'entrer dans ses écrits.

 

Je vous assure que vous ne le regretterez pas !

 

Personne n’a jamais vu sa tête, ni entendu sa voix, son identité est un mystère. Avant la publication de son premier livre, elle avait écrit : «Je pense que les livres, une fois qu’ils sont écrits, n’ont pas besoin de leurs auteurs. S’ils ont quelque chose à dire, ils trouveront tôt ou tard des lecteurs.» On a dit que derrière le pseudonyme pouvait se cacher un homme, l’écrivain Domenico Starnone. Certains indices permettent de penser que c’est plutôt une femme qui a été mariée et a eu des enfants. Elle serait née dans la région de Naples et vivrait en Grèce.

Libération "Saga Ferrante"

 

L'histoire se passe dans un quartier pauvre de Naples dans les années 50-60, juste après la seconde guerre mondiale.

Dans ce quartier vivent plusieurs familles, toutes aussi misérables les unes que les autres, avec une ribambelle d'enfants à nourrir et aucun confort dans les habitations aux plafonds tachés d'humidité et aux peintures délavées qui s'ouvrent sur des ruelles ou des cours intérieures vétustes et sombres.

Les pères sont épuisés par leur travail et les mères restées au foyer n'arrivent pas à joindre les deux bouts.

 

Là, deux petites filles du même âge deviennent amies.

 

Il y a d'abord Raffaela, que l'on surnomme Lila, l'amie prodigieuse. C'est une petite fille brillante à l'école, mais au caractère difficile et qui ne se laisse pas faire, malgré son apparente fragilité.

Lila est LA plus courageuse, LA plus douée, LA plus belle...si elle en a envie, car là est bien le problème ! 

 

Puis il y a la narratrice, Elena, que l'on surnomme, Lenuccia ou Lenù. Elle est craintive et timide, n'ose pas prendre la parole, doute d'elle-même. Mais elle est avant tout sérieuse et studieuse.

Je décidai que je devais copier cette petite fille et ne jamais la perdre de vue, même si cela l'agaçait et si elle me repoussait.

Lila était méchante : ça, dans quelque recoin secret tout au fond de moi je continuais à le penser. Elle m'avait prouvé que non seulement elle pouvait blesser avec les mots mais aussi qu'elle n'aurait pas hésité à tuer, et pourtant maintenant ces capacités ne me semblaient plus grand chose. Je me disais : elle révélera bientôt un caractère encore plus mauvais, et j'avais même recours au terme "maléfique", un mot excessif qui venait des contes de mon enfance...

 

Elena, la narratrice nous raconte la vie dans son quartier, la pauvreté des habitations, leurs jeux et peurs d'enfants, l'école et la compétition que les maîtres et maîtresses tentent de mettre en place pour les stimuler, en leur faisant honte de ne pas savoir devant les autres, car ils savent que l'orgueil est leur défaut numéro un. 

 

C'est elle qui parle de son admiration sans bornes pour Lila, de cette impression que sans elle, elle n'est plus rien. 

 

Pourtant toutes deux sont très intelligentes. Elles aiment passionnément les histoires et leur institutrice fera tout pour leur permettre de poursuivre leurs études. 

Mais malheureusement Lila, dont le père est cordonnier, ne pourra pas voir aboutir son rêve : après l'école primaire, elle devra aller travailler pour aider sa famille.

Celle d'Elena, par contre, fera des sacrifices pour qu'elle puisse faire honneur à la famille alors que son père n'est que portier. 

 

Leur amitié n'aura de cesse que de connaître des hauts et des bas, des moments de rapprochement et de compréhension mutuelle et des moments de compétition, d'envie ou même de jalousie...

 

Lenù poursuivra ses études au collège puis au lycée, ce qu'elle aurait tant voulu vivre avec son amie, alternant des phases d'enthousiasme et de découragement, des moments de liberté, suivis par des moments de solitude où son amie lui manque à en mourir...

Je pensais à Lila et moi, à cette capacité que nous avions toutes deux quand nous étions ensemble de nous approprier la totalité des couleurs, des bruits, des choses et des personnes, de nous les raconter et de leur donner de la force.

Lila continuera un temps, en dehors de son travail, à lire en cachette ou à faire réviser Lenù, mais elle se fiancera très jeune... 

Elle est si exclusive et a un caractère si tranché, qu'elle peut devenir parfois très méchante. Elle sait faire souffrir son entourage ou l'humilier mais Elena restera malgré tout son amie. Elle sera d'ailleurs la seule à toujours chercher à la comprendre, et à la protéger des autres et d'elle-même. 

 

Le premier tome s'arrête sur un événement susceptible de faire exploser l'équilibre précaire du quartier...alors que Lila vient tout juste de se marier. 

Seule Lila me manquait, Lila qui pourtant ne répondait plus à mes lettres. J’avais peur qu’il ne lui arrive quelque chose, en bien ou en mal, sans que je sois là. C’était une vieille crainte, une crainte qui ne m’était jamais passée : la peur qu’en ratant des fragments de sa vie, la mienne ne perde en intensité et en importance.

 

J'aimerais pouvoir lire plus souvent des romans aussi intenses que "L'amie prodigieuse".

En abordant cette lecture, je me suis questionnée pour savoir s'il s'agissait d'un roman ou d'une autobiographie puisqu'une des deux fillettes s'appelle Elena comme l'auteur. Et puis au bout de quelques pages, il m'a semblé que cela n'avait aucune importance tant les propos de l'auteur semblaient réels.

C'est un roman proche du témoignage social à la fois roman sur l'amitié, sur l'amour et récit de vie d'un quartier pauvre de Naples au temps de son éveil économique, au sortir de la période fasciste où tous espèrent enfin, un monde meilleur. 

 

L'amitié est au coeur du roman. Toujours passionnelle et fusionnelle, souvent exclusive, parfois teintée de jalousie, et très souvent de pudeur, elle joue un rôle important dans la construction de la personnalité des deux fillettes qui vont ainsi devenir des adolescentes, belles et différentes, forgées par leur vie quotidienne au sein  de leur famille et des us et coutumes de leur quartier, mais qui passeront leur temps à se comparer l'une à l'autre.  

 

Car le quartier est à mes yeux largement aussi important que les sentiments qui unissent ou divisent les deux jeunes filles. Dans ce quartier pauvre où l'argent confère le pouvoir et attire le regard des filles, le vivre ensemble et une certaine solidarité, unissent pourtant les êtres et limitent les rancoeurs, voire les haines bien présentes.

Dans ce quartier, les jeunes filles doivent marcher les yeux baissés, ne pas attirer le regard des hommes, ne pas leur être supérieures en étant trop intelligentes. Les femmes sont soumises, au père, au mari et même aux frères.

 

Tout à coup les cris cessèrent, et quelques instants plus tard mon amie vola par la fenêtre, passa au dessus de ma tête et atterrit derrière moi, sur le bitume.
Je restai bouche bée. Fernando se mit à la fenêtre, hurlant toujours d'horribles menaces à sa fille. Il l'avait lancée comme un objet.
Je la regardai consternée tandis qu'elle tentait de se relever et me disait avec une moue presque amusée: "Je ne me suis même pas fait mal!"
Mais elle saignait et s'était cassé le bras.
Les pères pouvaient faire cela et bien d'autres choses encore aux petites filles impertinentes.

Les garçons deviendront de vrais hommes capables de se battre entre eux ou de battre leur femme si besoin sans que personne ne trouve rien à redire. C'est sur eux que repose l'honneur de la famille et ils n'hésiteront pas à le défendre s'il le faut ou à se battre s'ils jugent leur orgueil bafoué. 

Dans ce quartier-là, on travaille, on ne se tourne pas les pouces à étudier et on parle le dialecte napolitain et non pas l'italien appris à l'école !

Et attention à tous les coins de rue, la violence règne et l'argent attire les convoitises. 

 

Le style est simple, facile à lire, car riche en dialogues souvent savoureux et très imagés.

C'est un roman émotionnellement très fort car très vivant, parfois drôle, empli de l'énergie vitale de ses personnages, de leurs rêves, de leurs espoirs et de leurs douloureux échecs. C'est à la fois un roman populaire et une fresque  sociale et psychologique richissime.

Car au-delà des deux attachantes héroïnes, il y a tout un lot de personnages secondaires, tous biens présents, et dont l'auteur va aussi dévoiler le caractère.  

Les personnages sont nombreux mais faciles à identifier d'autant plus qu'un index en début d'ouvrage vous aide à le faire ( je n'ai eu besoin de m'y référer qu'une seule fois).

Le lecteur entre dans leur vie comme s'ils faisaient partie de leur quartier et suit les hauts et les bas de leur existence malmenée par cet environnement particulier.

Un immense plaisir de lecture que j'espère retrouver dans les autres tomes de la saga...

Lila fut obsédée jusqu'à la fin de l'été par un concept unique, assez insupportable pour moi. J'utilise la langue d'aujourd'hui et j'essaie de résumer ainsi : il n'y a pas de gestes, de mots, de soupirs qui ne contiennent la somme de tous les crimes qu'ont commis et que commettent les êtres humains.

...l'invitation de Stefano était plus qu'une invitation,...derrière elle il y avait des enjeux très importants, puisque c'était comme s'il disait : avant nous de mauvaises choses se sont produites, nos pères, d'une façon ou d'une autre se sont mal conduits mais à partir d'aujourd'hui prenons-en acte et prouvons que nous, leurs enfants, nous sommes meilleurs qu'eux.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article