Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Au début du XXème siècle, aux environs de 1904, le narrateur passe quelques jours de vacances sur la Riviera dans une pension de famille très "comme il faut". Tous les soirs il se retrouve avec quelques "touristes" pour passer une soirée tranquille. Ils échangent agréablement sur divers sujets...
Mais un soir pendant sa promenade, Mme Henriette, la femme d'un des résidents disparaît mystérieusement : très vite les recherches se mettent en place jusqu'à ce que l'époux découvre une lettre que dans son désarroi, il n'avait pas vu, et qu'elle a déposé dans la chambre. Elle s'est enfuie avec un jeune homme de passage à la pension, que personne ne connaissait, et qui est arrivé la veille à peine sur la Riviera.
Tout le monde crie au scandale et les langues vont bon train.
Comment une femme "bien comme il faut" peut-elle, si soudainement, abandonner mari et enfants ?
La conversation s'envenime...
Chacun y va de sa critique pour expliquer l'attitude inqualifiable de cette "créature sans moralité".
Seul le narrateur ose affronter ses acolytes pour chercher à comprendre son acte et la défendre.
Tout ceci ne manque pas d'émouvoir une vieille dame anglaise qui lui donne raison devant tout le monde ce qui calme immédiatement le débat.
Plus tard dans la soirée, elle va ensuite lui faire des confidences. Elle aussi, alors qu'elle avait environ 40 ans et qu'elle était veuve depuis déjà deux ans, a vécu 24 heures mémorables qui ont bouleversé sa vie...
Elle se remémore ces événements survenus sans qu'elle ne puisse rien prévoir, à l'opposé de ce qu'elle vivait habituellement, et de ce que la bienséance lui permettait de vivre en étant veuve, auprès d'un homme inconnu, rencontré par hasard dans un Casino.
Tout ça parce qu'elle était très attirée par les mains des joueurs et s'amusait à deviner leur personnalité sans regarder leur visage...
Un jour donc, elle est fascinée par les mains d'un inconnu. Lorsqu'elle regarde son visage, ce qu'elle ne fait jamais habituellement, elle découvre celui d'un jeune homme d'une vingtaine d'années, ravagé parce qu'il vient de perdre tout son argent au jeu. Elle décide de le suivre pensant qu'il désire mettre fin à ses jours...
Elle se prend d'affection pour lui et redécouvre des sentiments qu'elle avait enfoui au plus profond d'elle-même depuis son veuvage. Elle décide alors de l'aider sans lui demander son avis quitte à lui prêter de l'argent s'il le faut...
Elle, qui considère qu'elle lui a sauvé la vie, sera trahie par l'objet même de sa soudaine, mais non moins foudroyante passion : il recommencera à jouer malgré ses promesses d'arrêter...il avait même juré devant Dieu !
Jamais encore (il faut sans cesse que je le répète) je n’avais vu un visage d'où la passion jaillissait tellement à découvert, si bestiale, dans sa nudité effrontée et j'étais toute entière à le regarder, ce visage...aussi fascinée, aussi hypnotisée par sa folie que ses regards l'étaient par le bondissement et les tressautements de la boule en rotation. A partir de cette seconde, je ne remarquai plus rien dans la salle ; tout me paraissait sans éclat, terne et effacé, tout me semblait obscur en comparaison du feu jaillissant de ce visage ; et sans faire attention à personne d'autre, j'observai peut-être pendant une heure ce seul homme et chacun de ses gestes.
Voilà une sublime confession de femmes, prétexte pour l'auteur à décrire la naissance d'une passion, bien incompréhensible pour l'entourage comme pour elle-même, entre une femme de quarante ans et un jeune homme de vingt ans plus jeune...mais une passion néanmoins dévorante où tous les sentiments sont exacerbés.
Les sentiments sont rendus de manière très réalistes par la plume de l'auteur au fur et à mesure que la vieille dame se les remémorent, et cela d'autant plus forts qu'ils ont passé tout ce temps enfouis au plus profond de sa mémoire, par honte tout d'abord, mais aussi par peur du regard que la société bourgeoise aurait pu porter sur ses actes de folie passagère...
Un très beau roman classique à découvrir dès le lycée et à relire ! Certains le considèrent comme une nouvelle mais bon 158 pages c'est un peu long je trouve pour une nouvelle...
Il a été adapté au cinéma deux fois, en 1968 et en 2003, et très souvent au théâtre.
Traduction et introduction par Olivier Bournac et Alzir Hella.
En fin de volume, "Stefan Zweig et le monde d'hier" par Isabelle Hauser.
Stefan Zweig est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien.
Né le 28 novembre 1881 à Vienne en Autriche, il est le fils d'un riche industriel juif et d'une mère issue d'une famille de banquiers italiens. La famille ne manque pas d'argent et le jeune Stefan peut donner libre court à sa curiosité naturelle pour les Lettres et le Théâtre.
Il étudie la littérature qu'il adore, la philosophie et l'histoire.
Mais pour lui "la littérature n'est pas la vie" et il décide donc de voyager en Europe tout d'abord. Il séjourne à Paris où il se lie d'amitié avec Jules Romain.
Puis il se rend en Belgique où il rencontre Emile Verhaeren dont il deviendra le traducteur allemand, le biographe et l'ami.
Il parcourt aussi l'Italie (Rome et Florence) puis revient en France en particulier en Provence, et enfin gagne l'Espagne.
Il quitte alors l'Europe pour le continent africain, revient en Angleterre et avant d'aller visiter les Etats-Unis, le Canada, le Mexique et Cuba, il passe aussi une année aux Indes.
Durant ses voyages il continue à écrire de nombreuses nouvelles...et se passionne pour la littérature étrangère.
En 1914 dès le début de la guerre, il s'engage dans l'armée autrichienne. Pacifiste convaincu, il prône la paix et l'union de l'Europe face à la montée du nazisme. Il rencontre d'autres intellectuels qui se battent pour ces idées : Sigmund Freud, Romain Rolland et son ami de toujours Emile Verhaeren.
Mais Hitler arrive au pouvoir...
Dès les premières persécutions contre les juifs en 1934, il quitte l'Autriche pour aller s'installer en Angleterre où il se fera naturalisé en 1940. Puis en 1941, il part pour le Brésil où il se donnera la mort en 1942, avec sa dernière épouse, dans une immense solitude.
Sa vie a été bouleversée par la montée du nazisme et ses espoirs de paix et de tolérances ont été anéantis ce qui explique son geste.
Il est l'auteur de nombreuses nouvelles, de romans et de biographies...mais aussi de quelques recueils de poésie et de pièces de théâtre.
Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec ma lucidité, j'éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m'a procuré, ainsi qu'à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j'ai appris à l'aimer davantage et nulle part ailleurs je n'aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l'Europe, s'est détruite elle-même.
Mais à soixante ans passés il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d'errance. Aussi, je pense qu'il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde.
Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l'aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux.
Stefan Zweig, Pétropolis, 22-2-42