Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Par manou
Ma Jian, l'auteur de ce récit est peintre, poète et photographe. Dans les années 80, il habite à Pékin dans une petite maison sombre et vétuste au fond d'une impasse et travaille comme photographe et journaliste dans le département de la propagande étrangère de la fédération des syndicats de Pékin.
Mais la direction, qui lui reconnaît pourtant un certain talent, lui reproche son allure trop décontractée, son ton insuffisamment respectueux et son mode de vie libéré souvent en marge de la légalité.
Devenu la cible idéale de la "campagne contre la pollution spirituelle", persécuté par les autorités, privé par son ex-femme, depuis son divorce, de son droit de visite à sa petite fille, obligé de rédiger son autocritique, il se sent menacé et quitte Pékin pour un périple à travers la Chine qui durera trois ans et qui lui permettra de poursuivre sa quête intérieure commencée avec le bouddhisme, en visitant les lieux les plus sacrés du pays.
Censuré dans son propre pays, il quittera la Chine pour Hong Kong en 1987. Dans les années 90, il s'installera à Londres où il habite toujours actuellement.
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Ma Jian a trente ans et plus beaucoup d'illusions. Même ses meilleurs amis lui tournent le dos et lui conseillent de partir. Sa vie affective est un vrai désastre et sa maîtresse le trompe. Il décide alors de quitter Pékin...
Il va voyager en train, en bus, en charrette et la plupart du temps à pied et sac au dos. Il va marcher sur les sentiers, traverser les villages ou franchir les montagnes sans (presque) jamais se départir de son courage.
Nous voyageons avec lui et découvrons l'histoire et la vie quotidienne des chinois au temps de Deng Xiaoping (le successeur de Mao) dans un pays en pleine mutation.
En effet, il va rencontrer aussi bien des intellectuels que des paysans, des étudiants, des ouvriers, des chercheurs d'or, des pêcheurs, des voleurs ou des nomades et aussi beaucoup de femmes qui continueront à le faire rêver...
Il pourra partager pour quelques heures, quelques jours ou plus longtemps leur vie quotidienne et découvrira la culture de très nombreuses minorités qui font la pluralité et la richesse de la Chine.
Mais la précarité des populations l'émeut, il ne peut que constater les dégâts laissés par la Révolution Culturelle et la politique de Mao...
La description des paysages et des gens est d'une netteté incroyable. On y retrouve l'oeil du photographe habitué à saisir par le détail l'instantané des choses et des gens !
Au cours de son voyage il visite les hauts- lieux de l'histoire de son pays.
En effet, les merveilles de la Chine sont nombreuses : la Grande Muraille, les grottes de Mogao, l'armée de terre cuite de Lintong, la gorge aux dix mille bouddhas, Dunhuang, le lieu de naissance du bouddhisme en Chine...
Il traverse des déserts, longe le fleuve jaune, visite le grand Sud pour se rendre enfin jusqu'au Tibet. Son récit est imprégné des légendes de ces contrées reculées et des récits historiques qui attestent de la richesse culturelle et historique du pays.
Sa gentillesse naturelle et l'admiration que beaucoup de gens lui porte, car eux n'ont pas eu le courage de tout quitter, fait qu'il est souvent soutenu par des inconnus. Il trouve des appuis de ville en ville. On lui écrit des lettres de recommandations qui lui permettent de trouver des petits boulots quand il a besoin de renflouer les fonds ou de trouver un hébergement pour la nuit.
Lui n'hésite pas à expliquer qu'il est journaliste (il ne dit pas qu'il a perdu son travail) et qu'il va faire un reportage sur les gens ou les lieux qu'il traverse.
Cela lui ouvre des portes !
Cependant ce périple ne suffira pas à le réconcilier avec son pays. Il se sentira de plus en plus étranger et ne trouvera sa place nulle part. Il doutera de lui-même et peinera à comprendre le but de son voyage. Il se retrouvera "étranger" dans son propre pays mais aussi à lui-même !
C'est seulement lorsqu'il arrivera au Tibet après trois années de voyage en solitaire qu'il pourra enfin connaître la paix et retourner à Pékin, le coeur serein.
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Ce que j'en pense
L'ensemble ressemble à un tableau qui se révèle par petites touches intemporelles car le lecteur ne sait pas toujours où il est, où il va, ni combien de temps s'est écoulé depuis la dernière étape...
Cartes à l'appui, le lecteur, dans le rôle du voyageur immobile, peut pourtant suivre presque pas à pas le voyage de Ma Jian d'une province à l'autre...
Nous découvrons une société pleine d'interdits et de contradictions, ravagée par la misère, prompte à la violence voire à la cruauté et peu soucieuse des droits de l'homme. Partout et dans tous les milieux la corruption fait rage. Même la police et l'administration ne font pas exception à la règle.
Les femmes font l'objet de beaucoup de mépris : violées, battues, trompées, trop souvent abandonnées ou exploitées...
Dans le milieu d'intellectuel que fréquente Ma Jian, elles sont pourtant nombreuses et davantage respectées.
Ma Jian et ses amis intellectuels ont semé de nombreuses graines de révolte, et leurs idées ont peu à peu gagné toutes les contrées.
Toutes ces graines ont germé jusqu'à aboutir à la révolte étudiante qui a débuté le 15 avril 1989 et au massacre de la place Tian'anmen le 4 juin 1989...la répression par l'armée de la révolte aurait fait des centaines de morts et de blessés. Vous trouverez quelques indications simples sur ce terrible événement sur le site d'Hérodote en cliquant ICI.
La Chine est comme "une vieille boîte de haricots conservée dans l'obscurité pendant 40 ans" elle est "prête à éclater de tous côtés" disait Ma Jian et l'histoire lui a donné raison.
On découvre à la lecture de ce récit un auteur sensible, sensuel et très humain à l'écriture très poétique.
Le lecteur peu à peu entre dans ses pensées, apprend à mieux le connaître. Ma Jian cherche une raison de vivre et de croire en lui et en son pays. Cette quête est aussi la nôtre !
On s'attache à ce héros courageux et persévérant même si on ne peut le comprendre toujours...
Selon Gao Xingjian, qui a obtenu le prix Nobel de littérature en 2000, Ma Jian est « une des voix les plus courageuses et importantes de la littérature chinoise actuelle ».
A lire absolument (pour moi c'est une deuxième lecture...).
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