Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Quand j'étais toute petite, je frappais les femmes au hasard dans le bus ou dans la rue. Ma mère disait que j'avais été témoin d'une scène...J'avais trois ans.
Voici un livre que j'avais noté depuis plus d'un an. J'hésitais à le lire vu le sujet car les histoires vraies sont souvent trop poignantes et puis, il était devant moi sur le présentoir de la médiathèque alors...
Un jour d'été où elle est à la piscine de son quartier avec sa mère et où elle s'ennuie, la petite Margaux participe aux jeux proposés par Peter. Elle a sept ans. Il est là en famille avec sa compagne et ses deux fils un peu plus grands qu'elle. Il a 51 ans, les cheveux gris et adorent s'amuser avec les enfants.
Invitée chez eux avec sa mère, à passer des après-midis, puis des journées entières, Margaux découvre une sorte de paradis. Il y a des animaux partout, dont elle peut s'occuper, un chien adorable qui lui rend ses caresses et pleins de jeux plus amusants les uns que les autres.
Mais peu à peu d'ami de la famille, Peter devient comme un père pour elle, puis il va lui demander des "faveurs"... sans jamais la forcer, attendant qu'elle soit prête, mais jouant tout de même sur la corde sensible. Il fait en effet sans cesse appel à ce qu'il lui apporte dans son quotidien, à son immense amour pour elle, à ce qu'il lui donne, lui, et à son ingratitude à elle, tout en sachant qu'il gagnera car la petite fille est en manque terrible d'affection.
La petite Margaux si vivante et heureuse de vivre n'est plus, elle est tombée dans un piège en faisant une confiance aveugle à cet homme qu'elle aime tant, mais qui deviendra au fil du temps son bourreau...
Elle réalise à l'adolescence qu'elle est mal dans sa peau, qu’elle s'est coupée des autres filles de son âge, qu'elle est seule, inadaptée et que bien que travaillant très bien en classe, elle est un être double.
C'est à partir de cette période que lorsqu'elle est avec lui, elle va devenir une autre, plus forte, plus déterminée, capable de faire tout ce que Margaux n'accepte pas de faire dans la réalité...
Nous avions aussi un puzzle de mille pièces auquel nous travaillions. Peter me donnait un rapide baiser sur les lèvres chaque fois que nous trouvions la bonne pièce, en vérifiant que personne ne regardait...
Peter insistait sur le fait que personne ne devait nous voir nous embrasser, parce que les gens sont tellement bizarres de nos jours_dans cette drôle d'époque où nous vivons, toute marque d'affection est suspecte...
Que dire de plus, l'histoire se suffit à elle-même.
Le récit est fluide et se lit comme un roman. L'auteur ne porte aucun jugement sur celui qu'elle a à la fois aimé et détesté, sur celui qui lui a apporté l'affection dont elle avait tant besoin mais qui a abusé d'elle, de son innocence et lui a volé son enfance.
Je ne peux pas dire que j'ai aimé un tel récit ! Mais je peux vous dire que le livre est tellement réaliste, qu'à un certain moment je me suis demandée si j'allais le poursuivre.
Le lecteur passe en effet par divers sentiments de la révolte au dégoût, tout en étant surpris et choqué (fasciné diront certains lecteurs dont j'ai lu pour une fois les avis avant de rédiger le mien) de découvrir un personnage plein de charisme, qui trompe son monde, autant sa compagne que la mère de Margaux, et qui a déjà eu des antécédents ignorés de tous...
D'un autre côté, je savais que le sujet principal, la ligne directrice de l'auteur si je puis dire, ce n'était pas uniquement de raconter son histoire, c'était de proposer une analyse de la méthode de manipulation employée par le pédophile pour arriver à ses fins, et cela me paraissait intéressant de pousser plus loin ma lecture pour comprendre ce personnage et comprendre aussi comment Margaux, sa victime, a pu tenir aussi longtemps en conservant leur "secret".
Tout en découvrant le récit, le lecteur comprend que Peter ne s'est pas intéressé à Margaux par hasard. C'est un fin psychologue car non seulement comme je l'ai dit, il sait montrer sa meilleure face au monde, mais il a vu tout de suite que la petite fille manquait d'amour.
Il a senti que la famille de Margaux comportait certaines faiblesses : une mère malade car bipolaire, et souvent absente car hospitalisée, et un père aimant, certes, mais alcoolique et capable de violence, se plaignant sans cesse des soucis que sa famille et en particulier sa petite fille lui occasionne, la diminuant au lieu de l'encourager à grandir. Tout cela en plus de secrets de famille inavoués...
Peter est lui-même d'une grande fragilité affective et a vécu des événements marquants durant sa propre enfance, ce qui n'excuse en rien ses actes bien entendu, mais déstabilise le lecteur quand il le comprend. Il est obsédé par la petite fille, affiche ses dessins partout, garde le plus petit objet qu'elle a fabriqué, tapisse sa chambre de photos, et surtout... ne veut pas la voir grandir.
Par contre, il faut noter que le père est le seul à voir juste dans la démarche de Peter, il arrive même à lui interdire un temps de la voir, mais comme elle devient anorexique, il finit par céder car rien, ni personne ne vient appuyer son ressenti...
C'est finalement ce qui surprend (choque ? interroge ?) le plus, cette absence de réaction de l'entourage, ce laisser-faire général des autres adultes, ces non-dits qui entourent leur relation. Car en ce qui concerne Margaux, par rapport à d'autres lecteurs, je n'ai pas été surprise par ses sentiments ambivalents, le Syndrome de Stockholm, nous en avons tous entendu parler !
Un thème difficile donc, pour un récit forcément poignant puisqu'à chaque page, le lecteur sait que tout est vrai.
Cette cave sombre, crasseuse, pleine de toiles d'araignées, m'avait pris toute ma vie. C'était l'endroit où j'avais renoncé à moi, c'était là où je détruisais pour lui ma propre volonté ; et maintenant il n'y en avait plus...
Il faut savoir que l'auteur s'est éteinte en 2017, d'un cancer. Elle avait 38 ans. Elle était mariée et avait une petite fille. J'ai été touchée de savoir qu'après avoir vécue une telle enfance, sous l'emprise d'un prédateur sexuel, elle n'avait pas pu avoir une vie heureuse.
Le récit a été traduit en français par Marie Darrieussecq dont on parle beaucoup à cette rentrée littéraire, pour son dernier roman.
Dans sa postface, l'auteur explique que c'est avant le premier passage à l'acte qu'il faut agir, et non pas une fois que le pédophile a agressé de nombreux enfants, alors... il est bien trop tard pour eux, mais aussi pour lui, alors que des traitements existent qui pourraient permettre d'éviter le pire....