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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Mireille Havet, la poétesse maudite de l'entre-deux guerre

 

Je ne voulais pas terminer mon tour d'horizon (non exhaustif) des poètes peu connus du XXe siècle sans parler d'une écrivaine et poétesse qui aurait pu tomber totalement dans l'oubli si une partie de ses oeuvres n'avait pas été découverte par hasard dans un grenier.

Il s'agit de Mireille Havet...

Mireille Havet, la poétesse maudite de l'entre-deux guerre

Je serai abracadabrante jusqu'au bout.

 

Mireille Havet est une poétesse et écrivaine française. 

Née en 1898 dans les Yvelynes, elle est morte à 34 ans (en 1932) au sanatorium de Montana (en Suisse). 

 

C'est la seconde fille d'un peintre, Henri Havet et de Léoncine Cornillier. La famille évolue dans un milieu artistique qui marque la jeune Mireille. Elle assiste à des débats littéraires animés, rencontre des écrivains, des peintres et des idéologues...parfois féministes.

 

Mais la vie familiale est difficile. Le père, en effet, est dépressif et c'est la mère qui doit assumer toutes les charges. Il est finalement hospitalisé et mourra en 1912, laissant la famille dépourvue de moyens financiers.

Mireille n'a que 14 ans et passera sa courte vie à avoir peur de tomber elle-même dans la "folie". 

 

Depuis l'âge de 7 ans, elle écrit. Mais à 14 ans (1912), elle se met à écrire des poèmes et des textes en prose. Elle sera renvoyée du collège à cause de ses écrits, jugés trop d'avant-garde.

D'avant-garde, elle le sera à peu près sur tout...Sa famille heureusement la soutient.  

 

Guillaume ​Apollinaire qui est un ami de la famille, la fait connaître dans le milieu littéraire parisien. Il la surnomme d'ailleurs la "petite poyetesse" et ils entament une correspondance assidue.

Il fait publier ses poèmes dans les "Soirées de Paris" (1914) alors qu'elle n'a que 15 ans. 

 

Puis c'est au tour de Jean Cocteau de lui témoigner son admiration. Plus tard, il partagera avec elle les nuits de rêves et d'opium.

 

Enfin Colette va devenir son amie, après avoir préfacé son premier recueil de contes fantastiques et de poèmes, "La Maison dans l'oeil du chat", paru en 1917.

 

Puis en 1922, Mireille Havet publiera un roman "Carnaval", qu'elle a écrit en 15 jours et qui sera sur la liste du Goncourt. Elle a alors plus de 20 ans. 

 

Mais entre-temps, la guerre a mis fin brutalement à tous ses espoirs. Elle y a perdu des amis, dont Guillaume Apollinaire et pas mal de ses illusions de jeunesse. C'est en 1913, qu'elle va d'ailleurs commencer à écrire son journal. Elle y décrira les états d'âme d'une jeunesse meurtrie, partagée entre la joie d'être en vie et l'angoisse d'être survivante...

Car après-guerre, rien ne sera plus comme avant.

 

Nos maîtres sont morts et nous sommes seuls.

 

Mireille Havet adorait sortir dans le monde...et son journal intime est aussi le reflet de la vie parisienne durant les années folles. Mais cette génération qui s'est amusée plus que de raison jusqu'à s'étourdir et à perdre la capacité de réfléchir, était avant tout une génération meurtrie par la guerre, il ne faut pas l'oublier, et cela explique d'ailleurs tous les excès...

 

Elle a un peu plus de 20 ans, elle aime par dessus tout vivre la nuit et les nuits parisiennes la comblent. Elle commence une liaison exaltante mais peu secrète avec la comtesse de Limur. 

Elle s'inspirera de leur aventure pour écrire son roman "Carnaval", dans lequel elle reprendra l'histoire de trois personnages, un couple (le couple de Limur) et un tout jeune homme naïf (elle-même)... 

 

Elle était homosexuelle, l'assumait et ne s'en cachait pas, ni dans ses écrits, ni dans sa vie quotidienne, ce qui était rare à l'époque.

Elle développera souvent dans ses textes et poèmes, cette ambiguité des sentiments, ses doutes, mais aussi ses humiliations. Malgré tout, l'opinion des autres l'indiffère : jeune femme amoureuse de la vie, volage et féroce, elle se fera entretenir par des femmes plus fortunées qu'elle, en mal d'amour ou d'aventures, ou par des amies égarées comme elle qui rechercheront les plaisirs de l'après-guerre.

 

Eprise de liberté, elle voulait vivre sa vie sans masque, comme elle l'entendait et tenait à ce que tout le monde le sache...ce qui était difficile dans une époque peu préparée aux incartades du "beau sexe". 

 

Je voudrais que grandir et devenir une femme ne soit pas synonyme de perdre sa liberté.

J'aime la vie. Elle me monte à la tête, elle m'envahit.
Elle surpasse ses promesses comme une maîtresse follement amoureuse

...Les horizons ne sont pas des mythes
Ils sont là pour être traversés ! vaincus ! Livrés !
Tous les secrets des montagnes,
toute la langueur des rivières,
toute la force mystique de l'océan indomptable
et le désert, qui noie, mieux que l'onde
sont pour nous.

Pour Toi : Voyageur désirable !
Que rien n'harasse et que rien ne déçoit :
avec ta besace grise sur ta hanche
ton dur bâton !
Sans arme ! Et sans fortune !
Livré au ciel, comme Jésus-Christ
Le fut aux hommes,
Livré avec le seul vêtement
de ta chair : à la source
qui coule en chantant
sur tes reins...

Extrait du poème "C'est ce désir du monde"

 

En amour comme dans la vie en général, en permanence insatisfaite, c'est peu à peu dans la drogue, que la jeune poétesse va se réfugier au détriment de sa passion d'écriture. Elle sait ce que la prise de stupéfiants lui offre et elle se méprise de ne pas réussir à y renoncer ce qui aggrave son addiction. 

 

Elle égare d'ailleurs le manuscrit de son second roman "Jeunesse perdue" qui ne sera jamais retrouvé.

 

Elle tente plusieurs désintoxications sans succès. Et elle y perdra ses amis et son argent pour s'engager dans une vie de misère, de maladie et de solitude.

 

... je souffre d'aimer trop et je souffre que l'on m'aime. Je souffre d'être si exigeante et si difficilement heureuse. Je souffre de cette différence qu'il y a entre la vie quotidienne et celle que j'imagine. Je suis incorrigible et ne me résigne à aucun arrangement.

Je m’enlise et volontairement m’aveugle et m’assoupis. On me le reproche ! Et, cependant, grâce à cela je vis, je peux vivre en souriant, sans mécontentement, sans reproche ! Que le cœur y soit, peu importe.

J'ai perdu ce qui faisait de moi un poète et je suis devenue un être avec toutes les paresses, toutes les lâchetés, tous les désirs des êtres que la vie a domestiqués, asservis sous son poing de fer, courbés sous le joug de l'argent, de l'amour et de l'ennui.

J’avais du talent encore, et de l’ambition. Je n’avais pas été malade et je croyais à l’amour. La vie s’ouvrait, centrale comme un livre à son milieu, et j’y entrais, appuyant mon présent et mon avenir sur des bases qui paraissaient incontestables et dignes de foi. J’avais la jeunesse enfin, et confiance dans les autres et en moi.

 

L'histoire a bien failli ne pas retenir le nom de Mireille Havet.

Heureusement, juste avant sa mort, elle avait confié ses carnets manuscrits à son amie Ludmila Savitzky, une traductrice franco-russe connue, morte en 1957.

 

On la redécouvre en 1995, lorsque l'héritière de son amie, par hasard, en traquant une fuite d'eau dans le grenier de la maison familiale dont elle a hérité, trouve une vieille malle qu'elle n'avait jamais ouverte, appartenant à sa grand-mère : à l'intérieur, le journal intime de Mireille Havet, écrit entre 1913 et 1929. 

 

Les cahiers étaient tous soigneusement numérotés, les pages annotées. Le journal semblait prêt à être publié et quasiment pas raturé.

Aussitôt, les éditions Claire Paulhan se charge de la publication de ce sulfureux journal intime.

 

C'est la révélation ! 

On y découvre une artiste douée, visionnaire par le regard acéré qu'elle porte sur notre société moderne à la dérive, libertine et capable de transgresser tous les tabous...des milliers de pages brûlantes qui enflamment les lecteurs et le monde littéraire, mais des pages d'une poésie rare qui sont celles d'un véritable écrivain, qu'elle nourrira de sa vie personnelle, certes, de ses déboires amoureux aussi, mais également de ses voyages et de ses escapades loin de la vie parisienne...Un témoignage d'une époque révolue, vu par les yeux d'une féministe accomplie. 

 

La vie, c'est un endroit où l'on meurt...

 

Vous pouvez lire quelques compilations d'articles de presse écrits dans les années 2000, suite à la découverte de son journal. 

 

Et l'hommage qui lui est rendu dans le magazine littéraire "Nuit Blanche", par patrick Bergeron dans lequel vous trouverez de nombreux extraits de ses textes et de ses poèmes.

LE PETIT ESCALIER DE SAINT-CLOUD

C'était un petit escalier, tout petit. Il n'avait que trois ou quatre marches, mais ces trois ou quatre marches en valaient bien des quarantaines d'autres par leur beauté. Elles étaient recouvertes de mousse, mais surtout de monceaux de feuilles mortes tout en or. Il était bien content, le petit escalier et il n'en demandait pas plus pour être heureux et de bonne humeur. Et depuis des années, il savourait cette joie si simple et si pure d'être recouvert de feuilles mortes et d'admirer la nature. Car il l'admirait ! il trouvait splendide le trou fait dans le feuillage par lequel il pouvait regarder un morceau de ciel bleu. Il adorait sa grande sœur, la statue, qui se reflétait dans l'eau glauque du bassin et les beaux troncs des arbres entourés de lierre rouge.

Quand les gens venaient visiter ce coin isolé du parc de Saint-Cloud et que, par hasard, ils disaient : « Ah ! le joli petit escalier, montons ses vieilles marches de pierre », il ressentait une joie énorme, mais pas d'orgueil ; aussi sa joie était-elle très pure et lui était-il très heureux.

C'est une tout petite histoire que celle de ce petit escalier, mais c'est celle de tous les gens modestes qui savent être heureux par eux-mêmes et par la beauté du ciel qu'ils voient.

Revue Les Soirées de Paris n°26-27

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M
j'ai énormement aimé ta série sur les poétes
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M
Merci beaucoup ! Alors on se donne rendez-vous dans un an ?! Pour le nouveau printemps des poètes...je me suis inspiré de leur thème et de leur liste d'auteurs. Bien sûr il y en avait encore d'autres...
N
Sublime l'histoire du petit escalier. Je ne connais pas du tout cette poétesse, Manou, mais je vais m'empresser de regarder ce qu'elle nous a laissé en héritage. Belle fin d'après-midi.
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M
Oui cette petite histoire de l'escalier m'a conquise...J'ai trouvé qu'elle avait su garder un émerveillement particulier malgré sa vie plutôt...dissolue.